Redéfinition des régions – un recadrage

J’ai ressorti et réactualisé le début d’une réflexion de longue date sur le cadre d’un fédéralisme en France. Etant angevin, les exemples seront plus particulièrement pris dans l’Ouest qui me concerne au premier chef, démantèlement des Pays-de-Loire en premier lieu (ou réunification de la Bretagne, cela dépend du point de vue). Je sens que je ne vais pas me faire que des amis à ce sujet …

Redéfinition des régions – un recadrage

Dans le cadre de la réforme générale des pouvoirs en France, il est nécessaire de revoir, d’abord le contenu du pouvoir alloué aux régions [1], mais également leur contour. Avec une constatation simple : il y a un peu trop de régions en France, et la rationalité qui a conduit à leur forme actuelle n’est plus adaptée aux évolutions du monde moderne. Il faut donc les revoir.

petit rappel historique

provinces et régions superposées

Pour faire vite, le découpage régional, bien que se basant -au moins nominalement- sur les entités territoriales d’avant la Révolution, a surtout consisté -dans les faits- à regrouper un territoire autour de chaque ville plus ou moins importante, les « métropoles d’équilibre », dans un but d’aménagement du territoire dans le cadre d’une politique planifiée et centralisée. Ce que trop de gens ignorent, c’est que le découpage actuel est l’aboutissement direct d’une vision remontant à avant la première guerre mondiale, sous l’impulsion de Vidal de la Blache notamment.
les régions de Vichy
Passons sur l’épisode Vichy et les contradictions de ses détracteurs [2]; notons que ce même découpage était lui-même plus ou moins calqué sur celui des chambres de commerce des fin du XIX° / début du XX° [3], repris en 1919 par Etienne Clémentel dans sa définition des « régions économiques ».

les généralités en 1789

En remontant encore, ce découpage, et celui des départements qui le sous-tend, n’était pas absolument neuf. Si on prend la carte des généralités, c-a-d la part financière de l’administration royale, donc la plus critique, on a un découpage déjà assez différent de celui des provinces féodales. Restons dans l’ouest qui nous intéresse plus particulièrement, et prenons l’exemple de la Normandie : elle est coupée en 3, et par contre la somme de ces 3 généralités ressemble étrangement à celle des régions économiques du début du XX°. La généralité de Tours comprend ce qui deviendra les départements de Sarthe et Mayenne, dont le sud est d’Anjou et le reste du Maine, mais laisse de côté un gros bout du Maine, qu’on retrouvera dans l’Orne en région Normandie et dans l’Eure-et-Loir en région Centre.

En bref, on a inconsciemment repris le même cheminement intellectuel que celui qui a créé les départements à la Révolution : des territoires nombreux, plus ou moins comparables, basés sur une rationalité technique [4], reprenant une part de l’héritage administratif, et in-fine s’inscrivant dans le cadre du centralisme jacobin.

Bien sûr, ce n’est pas systématique, on trouvera des contre-exemples en pagaille : la Lorraine a deux métropoles, l’Alsace reprend quasi à l’identique la province historique, Rhône-Alpes est suffisamment gros pour constituer un contre-pouvoir, et contient deux métropoles, etc. Mais les critiques restent vrai dans leur ensemble, et personne ne songe à contester sérieusement que les régions actuelles ne sont plus vraiment adaptées

Le grand chambardement

Le changement radical des déplacements et des communications a tout changé. Angers est à 95mn en TGV du centre de Paris, Lyon idem de Marseille. La télé-conférence et l’internet haute vitesse sont partout. Dans le même temps, les grandes métropoles françaises ont profité de la décentralisation existante pour jouer le rôle de Paris vis-à-vis leur propre hinterland. A quoi bon vouloir conserver des régions « d’équilibre », alors que le déséquilibre général est là ? Tant qu’à être rationnel, il vaut mieux l’être sur 3 autres critères :

  • économies d’échelle en regroupant les territoires
  • interractions quotidiennes d’où découle le destin politique partagé
  • positionnement européen

On peut tout à fait concevoir des régions contenant plusieurs grandes villes, comme PACA l’est déjà, quitte à déplacer le siège administratif dans une plus petite pour éviter les jalousies. Et on n’est absolument pas obligé d’avoir des régions de taille à peu près identique. Ce qu’il faut éviter à tout prix, c’est la fragmentation clochardière, et notamment celle à base strictement identitaire. Le but est de fédéraliser, pas de recréer des jacobinismes à plus petite échelle.

Enfin, on n’y échappera pas : il va falloir laisser les territoires choisir, et ne pas se geler sur les découpages administratifs actuels. Tant qu’on respecte le principe de continuité territoriale, chaque canton doit pouvoir décider où il veut aller.

Histoire, ou géographie ?

C’est la question principale : doit-on repartir des provinces historiques, ou bien partir de la géographie moderne, c-a-d prenant en compte les moyens de communication ?

Si c’est l’histoire, alors adieu les départements : vouloir reconstituer des régions historiques sur la base départementale, comme le propose le mouvement de réunification bretonne sous le couvert d’un intérêt soudain pour les normands, n’est que le reflet d’un micro-nationalisme et non celui d’un fédéralisme (du moment que la Bretagne retrouve son territoire, le reste on s’en tape, et par exemple que la Normandie historique n’est pas équivalente aux 2 régions-programmes).

Si c’est la géographie, idem : bassins versants -ils l’étaient déjà- et couloirs autoroutiers et ferroviaires sont les éléments décrivant les territoires modernes. A remarquer que dans les 2 cas, Nantes reste hors la Bretagne. Et l’autoroute des estuaires, avec l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes en son milieu, va définir un territoire qui n’existe pas encore mais acquérra une existence de fait, excluant Brest comme Angers.

En fait, il faudrait, dans l’idéal, pouvoir marier les 2 approches. On ne peut pas reprendre telles quelles les provinces, il y en a trop. On ne peut non plus les ignorer totalement, car les solidarités locales sont encore basées sur ces anciens liens.

Notes

[1]étant fédéraliste convaincu, je souhaite un parlement régional et non plus un simple conseil, avec une autonomie partagée fiscale, et l’exclusivité d’un champ d’application étendu, y compris dans le domaine de l’action sociale et de l’éducation.

[2] Mettre ce détachement sur le dos du régime de Vichy, avec stigmate associé, est une facilité et surtout une myopie historique : outre qu’il n’a essentiellement fait que reprendre les travaux de La Blachet et cie, on notera que la Normandie y était unifiée, la Vendée faisait partie intégrante du Poitou, Angers était la préfecture d’une région ligérienne allant de Nantes à Tours, et les lignes de démarcations allemandes formaient des limites intangibles et obligatoires.

[3] à noter que les CCI de l’époque pouvaient choisir, et que le choix de séparer Nantes de Rennes avait -déjà- été pris par les intéressés, pas par le pouvoir parisien. On peut supposer que les mêmes arguments économiques aient été à la base de la décision de Vichy comme de celles de 1957 et subséquentes de péréniser ce découpage.

[4] les départements étaient plus ou moins parcourables en 1 jour à l’époque, c-a-d à cheval – administration et contrôle rationalisés, c’était déjà la modernité contre les pesanteurs féodales.

Lectures

Une étude publiée dans la revue Strates

Une présentation extraite d’un cours de la Sorbonne

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Une réponse à Redéfinition des régions – un recadrage

  1. enzo dit :

    Salut Bruno

    Billet très intéressant, argumenté, sérieux. Et je ne suis pas indifférent à ton « territoire » : je travaille dans la fonction publique territoriale à Rouen, ma compagne est bretonne, et elle travaille à Nantes.

    Le sujet semble t’intéresser, alors je te donne une petite piste de lecture : le « Guide des pays de France » de Frédéric Zégierman, en deux tomes (chez Fayard). L’auteur s’y attache à décrire minutieusement ce qu’il appelle les « pays », aux frontières parfois difficiles à déterminer. Ces « pays » s’identifient par leur activité économique (pour les agglomérations), soit par leur unité géographique (les vallées), soit par une quelconque activité agricole (le vin)… Typiquement, un pays s’articule autour d’un marché central. L’auteur ne se prononce pas sur les « régions » qui rassembleraient les « pays », car cette réalité est diversement ressentie d’une région à l’autre ; elle est globalement plus forte, par exemple, pour la Bretagne que pour le Centre.

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